Négociations de la COP21 : le sprint final avant l’accord !

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Dans la nuit de vendredi à samedi, au terme d’une minutieuse relecture du texte ligne par ligne, la présidence de la COP a annoncé la finalisation du projet d’accord. Laurent Fabius, ministre français des Affaires étrangères et président de la COP, le présentera en séance plénière samedi à 11 h 30 (10 heures GMT), le temps qu’il soit traduit dans les six langues de l’ONU. Si l’accord faisait consensus, une nouvelle plénière serait convoquée quelques heures plus tard pour une adoption formelle, qui ne passe pas par un vote. « Toutes les conditions sont réunies pour obtenir un accord universel ambitieux » et elles n’ont jamais été « aussi favorables », avait estimé vendredi soir M. Fabius après 12 jours de pourparlers au Bourget (nord de Paris).

« Chacun n’obtiendra pas 100 % de ce qu’il demande »

Lors du coup d’envoi de la 21e conférence sur le climat de l’ONU, 150 chefs d’État étaient venus exprimer l’urgence à agir face à un réchauffement qui aggrave les phénomènes extrêmes (vagues de chaleur, sécheresses, inondations, etc.) et menace la productivité agricole, les ressources marines et les réserves en eau dans de nombreuses régions. La montée des océans met aussi en danger des États insulaires, comme les îles Kiribati, et des communautés côtières, au Bangladesh par exemple. Ces deux derniers jours, des coups de fil entre chefs d’État, notamment de la Chine, des États-Unis, de la France, de l’Inde et du Brésil, ont été échangés pour s’assurer que les discussions au Bourget ne s’embourbaient pas. Dans la nuit de jeudi à vendredi, une réunion de négociations avait vu les positions de certains pays se rigidifier, faisant craindre un blocage dans les discussions. Les délégués, le visage chaque jour un peu plus tiré, étaient repartis vers leur hôtel à l’aube, sans que de nouveaux compromis aient été trouvés, avant une nouvelle journée d’échanges vendredi. « Sur un sujet aussi complexe, chacun n’obtiendra pas 100 % de ce qu’il demande. Quand il y a 195 pays, si chacun exige les 100 %, finalement chacun obtient 0 % », avait prévenu Laurent Fabius.

Pacte en vigueur en 2020

Ce pacte, qui entrera en vigueur en 2020, doit accélérer un mouvement réduisant l’utilisation des énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz), favorisant les énergies renouvelables et modifiant la gestion des forêts et des terres agricoles. Les engagements des pays, pris en vue de la COP, pour réduire les émissions de gaz à effet de serre mettent à ce stade la planète sur une trajectoire de + 3 °C par rapport à l’ère préindustrielle, loin des + 2 °C ou moins souhaitables pour limiter les dérèglements. Pour faire accepter un texte à 195 nations, la présidence française devait trouver un équilibre délicat entre « les lignes rouges » des pays et des formulations trop vagues qui priveraient le texte d’ambition. Dans ce but, Laurent Fabius avait enchaîné vendredi encore les consultations dans son bureau avec les chefs de délégations : États-Unis, Union européenne, Chine, Afrique du Sud, groupe Afrique, etc. « Cela va nous permettre de procéder aux derniers ajustements et demain matin [samedi] de présenter le texte final », avait dit le ministre, resté jusqu’au coeur de la nuit pour peaufiner le texte. « Il s’agissait de tester différentes formules de consensus avec les délégations qu’il recevait », a expliqué à l’AFP Matthieu Orphelin, porte-parole de la Fondation Nicolas Hulot.

À chacun une contribution adaptée

Les grands sujets de divergences portaient principalement sur l’aide aux pays du Sud pour faire face au changement climatique, sur le niveau d’ambition de l’accord et le respect du principe de « différenciation », qui implique que les pays développés agissent en priorité, au nom de leur responsabilité historique dans les émissions de gaz à effet de serre. « Vous ne pouvez pas demander au Lesotho d’avoir les mêmes obligations que la Pologne, ou au Bostwana d’avoir les mêmes que les États-Unis, sans différenciation », avait souligné vendredi Nozipho Mxakato-Diseko, l’ambassadrice sud-africaine, porte-parole du groupe des pays en développement. Concernant les financements, les pays en développement réclamaient que la somme de 100 milliards de dollars annuels promise d’ici à 2020 soit augmentée les années suivantes. Quant aux pays développés, ils voulaient mettre à contribution les émergents (Corée du Sud, Brésil, pays pétroliers…).

Le point au soir du vendredi 11 décembre

Cette fois-ci, la réunion du Comité de Paris, la cinquième, n’est pas prolongée par les réflexions des différentes délégations en salle plénière. Elle est ouverte au public. La presse, elle, est sur le site de la convention-cadre des Nations unies. À l’écart des délégations, l’air confiant, le ministre des Affaires étrangères français assure que les consultations et les différentes réunions vont permettre d’aboutir à un accord « juridiquement contraignant, durable et ambitieux ». L’issue est proche selon lui.

Trois points posent problème

D’après Laurent Fabius, il s’agit de la différenciation, de l’ambition et de la finance. Finalement, de 23 h 30 à 6 heures du matin, dans la nuit du 10 au 11 décembre, les délégués se réunissent en petits groupes pour trouver des solutions, appuyés par des ministres du Sud et du Nord, nommés en début de semaine, comme  facilitateurs par le président de la COP et ministre des Affaires étrangères français. Aujourd’hui, vendredi 11 décembre, aucune réunion officielle n’est prévue. Mais des réunions bilatérales ainsi que des réunions informelles auraient lieu. Laurent Fabius devrait présenter un texte d’accord demain matin, samedi 12 décembre. Selon un négociateur, sous le couvert de l’anonymat, « le texte final ne devrait pas être positif pour les pays en développement ».

Un maximum de 1,5 °C pour les États insulaires

De 38 pages, puis de 29 pages, le texte est aujourd’hui (vendredi) de 27 pages. Ce texte comporte un projet d’accord + 15 pages qui sont destinées à accompagner le projet de décision. « Ce texte a de nombreuses failles. On pourrait même atteindre la tour Eiffel avec ces failles. Tous les pays sont d’accord pour dire que les contributions nationales ne sont pas très satisfaisantes. Les réductions de gaz à effet de serre que les pays proposent vont jusqu’à 3,5 °C », rappelle l’activiste sud-africain de l’ONG Greenpeace, Kumi Naidoo.

Pour Kanu Rana, 27 ans, de l’île Maurice, observatrice du processus des négociations pour le réseau de la jeunesse du Commonwealth, la position des petits États insulaires en développement est très claire. « Notre position est 1,5 °C, comme le recommande le dernier rapport du Giec*. Je ne vois pas pourquoi dans le texte on parle de 2 degrés ! » s’exclame-t-elle. Pour M. Nadoo, le cumul des contributions nationales des 184 pays est en pleine contradiction avec les problèmes liés aux changements climatiques. « Nous voulons que la date de révision des contributions nationales soit avancée pour obliger les pays à revoir à la hausse leurs ambitions. En ce moment, ils parlent de 2023, c’est trop long. Nous n’avons pas huit ans à perdre », s’insurge-t-il.

Quid du financement des pertes et préjudices ?

La notion de pertes et préjudices se retrouve dans plusieurs contributions nationales. À Varsovie, un mécanisme sur les pertes et préjudices a été mis en place pour faire face aux inondations et aux catastrophes naturelles. Mais cela n’est pas suffisant pour les petits États insulaires et pour l’Afrique. « À ce jour, le langage des pertes et dommages est très faible. J’espère qu’il sera renforcé dans le texte final », précise M. Nadoo. Pour le Tanzanien Tajiel Urioh, 27 ans, de l’ONG Green Icon, le manque de financement des pertes et dommages pose problème. « C’est important de prendre en compte les impacts des pertes et dommages, toutes ces pertes méritent compensation. Cela va au-delà de l’adaptation. Nous avons besoin d’argent pour l’adaptation et l’atténuation, mais nous avons aussi besoin d’argent pour les pertes et préjudices. Le terme compensation est honni par les États-Unis. Il n’apparaît pas dans le texte actuel. Mais que faire lorsque l’adaptation ne suffit pas ? » s’interroge-t-il. Selon des négociateurs, l’intégration du terme compensation dans le texte pourrait entraîner des poursuites judiciaires et financières à l’encontre des pays développés. D’après un négociateur africain, sous le couvert de l’anonymat, ce terme a été contourné pour favoriser les États-Unis.

L’exigence d’un accord juridiquement contraignant

« Ce que nous recherchons, c’est un accord qui sera juridiquement contraignant, un accord qui prendra en compte la vulnérabilité des pays les moins avancés en Afrique, les petits États insulaires en développement. Les États-Unis peuvent faire ce qu’ils veulent. Ils peuvent se retirer quand ils veulent, faire des pressions politiques. Mais, nous, ce que nous souhaitons, c’est un accord juridiquement contraignant. Ce que nous disons, c’est ce que nous allons faire », avait martelé Pa Ousman Jarju, le ministre de l’Environnement, du Changement climatique et de la Nature de la Gambie, en marge des négociations, au début de la semaine.

Qu’en est-il du prix du carbone ?

À cette heure-ci (vendredi 11 décembre, 17 heures), le prix du carbone ne fait pas partie de l’accord. Il pourrait permettre, selon certains experts, de financer la transition énergétique. Au début de la COP, le Premier ministre éthiopien, Hailemariam Desalaegen, s’est exprimé, en conférence de presse, sur l’importance de l’utilisation du prix du carbone pour le développement de son pays. D’après Mathieu Orphelin, porte-parole de la fondation Nicolas Hulot, le prix du carbone a été retiré du texte à la demande des pays pétroliers. Le passage des énergies fossiles au passage aux énergies renouvelables mécontenterait ces pays. Dans le texte actuel, l’Afrique est le seul continent à indiquer clairement la priorité pour l’utilisation des énergies renouvelables. Un autre problème demeure, la responsabilité historique, hier matin (jeudi 10 décembre), la Chine et l’Afrique du Sud se sont exprimées devant la presse internationale. Pendant 10 minutes environ, Al Wills, responsable en chef des négociations sur les changements climatiques pour l’Afrique du Sud, a présenté l’historique de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Était-ce pour rappeler l’histoire de la pollution dans le monde ?

*Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC)

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