COP 22-MAROC-Aimé Joseph Nianogo( IUCN) : « Notre grand défi c’est de former les jeunes à mieux valoriser la nature »

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COP 22-MAROC-Aimé Joseph Nianogo( IUCN) : « Notre grand défi c’est de former les jeunes à mieux valoriser la nature »

 

Aimé Joseph Nianogo directeur Régional Afrique de l’Ouest et Occidentale de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (IUCN) a participé récemment à Rabat ( Maroc) au second colloque francophone sur le droit de l’environnement en Afrique. Cet expert du Burkina Faso, ancien enseignant chercheur,  se confie sur certaines problématiques environnementales en Afrique, sur le rôle de la jeunesse et il  apporte des solutions au développement du continent par des explications sur  le droit et les actions comparées. Entretien.

 

Propos recueillis par Houmi Ahamed-Mikidache

 

Que représente ce colloque pour la jeunesse africaine ?

C’est vrai lorsque vous regardez dans la salle vous avez des gens qui ont facilement plus de cinquante ans. Mais les enjeux sont conséquents surtout pour les générations à venir. Dans tous nos pays la franche jeune est la plus importante. Nous nous adressons donc particulièrement à la jeunesse.AIME NIANOGO

Quels sont vos défis pour cette jeunesse ?

C’est important qu’on puisse développer l’expertise au niveau de la jeunesse. Pour nous, le premier défi est de nous assurer que la jeunesse fasse  le lien entre l’environnement et son futur bien être. C’est très important parce qu’à partir de là tout devient facile.  Le deuxième défi c’est de permettre l’accès aux emplois verts à ces jeunes, par le biais notamment  de  l’horticulture, mais aussi  l’exploitation des produits forestiers non ligneux qui représentent un secteur en développement dans tous nos pays. Notre grand défi c’est de former les jeunes à mieux valoriser la nature. Quand ils auront compris les   bénéfices à en tirer, ils seront mieux valoriser cette nature. Il y a beaucoup d’emplois notamment au Burkina Faso, au Mali, qui peuvent être développés en milieu rural. Je crois qu’on a besoin de mettre en place des emplois  porteurs financièrement. Aujourd’hui, la jeunesse est pressée. Il ne faut pas leur proposer des miettes. C’est une franche de la population qui veut aller très vite, qui ne veut pas se contenter de très peu. Par conséquent, il faut trouver les ressorts pour que les emplois qui vont être proposés aillent au-delà de la lutte contre  la pauvreté, pour qu’ils deviennent des personnes influentes dans leurs milieux. Je pense que c’est possible. Personnellement, je suis convaincu que cela va bien se passer. Regardez le Maroc, c’est assez distant de Ouagadougou et de Niamey. Aujourd’hui, vous avez des femmes de ces pays qui viennent au Maroc, qui prennent la pomme de terre,  qui l’envoient par camions de 30 tonnes à Niamey ou  à Ouagadougou, et  qui se font des bénéfices importants. Je crois que les relations sud-sud sont également porteuses d’emplois, porteuses de richesse. Et cela doit être développé. Ce sont des  idées de ce type qui peuvent inciter à intégrer  le circuit et concevoir un développement durable,  notre objectif majeur. C’est à  cette jeunesse que le développement durable va bénéficier.

 

Comment  impulser la  jeunesse ?

Il y a un aspect qu’il faut prendre en considération. La jeunesse aussi bien rurale qu’urbaine est devenue beaucoup plus exigeante. Si vous prenez le cas du Burkina Faso, à Ouagadougou, les jeunes ruraux et urbains se sont organisés. Dés qu’ils ne sont pas contents, ils barrent les routes, ils empêchent tous les transports interurbains, et on est obligé de  discuter avec eux. On est obligé de régler les problèmes qu’ils évoquent. Nous devons travailler   avec la jeunesse et l’écouter pour mieux la comprendre. Si on n’ y prend pas garde, on ne va pouvoir gérer nos pays. Nous devons aider les jeunes à porter leur message au plus haut niveau. Dans certaines villes, vous avez une population estudiantine qui dépasse les 100 000 étudiants. Dans beaucoup de pays, avec 20 000 voix, on peut avoir un député à l’assemblée nationale. Quelque fois, je me dis,  qu’il faudrait qu’on organise ces jeunes. Au lieu de les laisser se disperser dans plusieurs partis politiques,  on devrait travailler avec eux et les inciter à porter leur voix sur tous les plans au niveau des conseils communaux, au niveau des municipalités, au niveau des conseils régionaux, au niveau du parlement. Avec cette configuration, on peut facilement avoir au moins 40% des membres du parlement qui sont jeunes, qui viennent des milieux ruraux, et des milieux urbains. Pour le moment, c’est un peu difficile, parce qu’ils n’ont pas les connexions, ils n’ont pas souvent les moyens. Mais je pense que c’est une question de temps, et deuxièmement, une question d’organisation. Justement, nous autres, qui avons  facilement plus de 60 ans, nous devons, avant de  partir, accompagner ces jeunes et les aider a porter leur message. Il faut qu’on s’assure que la jeunesse ait une voix qui soit entendue, et il faut qu’on s’assure que les chefs d’Etat, les gouvernements  soient  obligés de prendre en considération tout ce qui vient de la jeunesse. Parce qu’autrement, la stabilité politique même, la gestion de nos cités va devenir éventuellement un problème. La pauvreté et l’injustice sont de plus en plus une menace dans tous nos pays. Tout ce qui sont marginalisés peuvent un jour sortir dans les rues et tout casser,  et nous dire : «  ce n’est pas comme ça que ça doit se passer, vous ne pouvez pas nous laisser à côté de la voie, disant que nous n’avons pas été à l’école. C’est justement parce que vous n’avez pas mis les moyens nécessaires. » Donc, je crois qu’on a intérêt en tant que groupe un peu plus âgé à faire en sorte que la jeunesse ait un droit de cité.

 Comment faire  en sorte que la jeunesse bénéficie du programme des nations unies de reforestation , le  REDD+, un mécanisme peu compris  par de nombreux  décideurs économiques et politiques en Afrique ?

C’est une erreur de débarquer dans un pays, dans une population et de leur parler de REDD+ . C’est compliqué, il faut parler de leur réalité. On dit souvent chez nous, le sol est atteint d’une certaine teigne dont on voit une certaine progression, c’est-à-dire qu’il pousse de moins en moins d’arbres, c’est-à-dire que la demande sur les terres est très importante. On peut dire qu’aujourd’hui les jeunes sont obligés de migrer de leur terroir d’origine vers d’autres terres beaucoup plus humides, plus fertiles. Dans le cas du Mali, le Burkina,, le Niger, surtout le Burkina, le Niger. Vous savez que dans ces pays, on ne privilégie pas d’aller en Europe. On cherche des terres fertiles, c’est pour ça qu’on est  allé en Côte d’Ivoire et que certaines populations ont contribué au  développement  de produits comme le cacao. Ces gens vont également au Ghana. Je crois qu’il y a comme un attachement culturel, aux ressources naturelles qui se retrouvent en contradiction avec les réalités, parce qu’aujourd’hui, la terre ne donne plus autant qu’elle donnait avant. Elle se  trouve également  en contradiction avec certaines problématiques comme l’accaparement des terres, parce qu’il suffit d’avoir un petit peu d’argent de la ville pour prendre des hectares et des hectares, face à ça le paysan ne sait pas comment s’organiser.  Du coup, je crois qu’il faut parler aux paysans, aux populations rurales, en leur parlant de leur vécu quotidien, en leur faisant eux-mêmes  comprendre  les défis afin qu’ils saisissent par eux-mêmes les concepts qu’on appelle REDD.  A travers l’assimilation de ces concepts, ils comprendront alors comment  rendre leur environnement plus vert,  plus sain, et comment la terre peut  redevenir  productive. Ce n’est pas si extraordinaire…Si vous regardez en Afrique de l’Ouest, il y a beaucoup d’expériences locales diffusées à l’échelle  régionale, parce que ça marche. La technique du  zaï en est exemple, connu au Burkina Faso et ailleurs pour rendre fertile les terres. Beaucoup de paysans dont les   terres devenues relativement infertiles utilisent depuis cette technique. Mais qu’est-ce que la la technique du zaï ?  Prenons l’exemple de la culture du maïs. On creuse  de grands trous, on y dépose  une graine. Le trou doit être profond pour contenir suffisamment d’eau et de fumier afin que la  plante ait de quoi survivre au-delà des périodes de sécheresse. Il y a d’autres détails sur cette technologie, mais ce qui est sûr c’est que cette technique vient du paysan. Aujourd’hui, la technique du zaï vient du paysan du Mali, du Niger, du Burkina. Il y a des techniques comme ça qui sont employées par les ruraux, et elles méritent  d’être connues.

Quel est le rôle des médias selon vous ?

Les médias doivent nous aider à faire connaître les bonnes expériences, les bonnes leçons. Vous pouvez faire en sorte qu’un paysan au Kenya sache comment un paysan au Burkina Faso et au Maroc se débrouille par rapport aux problématiques environnementales. Vous pouvez informer sur la disponibilité des marchés, informer la  jeunesse des milieux ruraux et urbains sur les différents échanges entre pays. Le terrorisme est un frein aux échanges. Mais, je rappelle qu’avec ou sans terrorisme, les populations ont toujours voyagé. Les commerçants allaient chercher de la cola ( noix de cola ou Kola, un produit agricole), du Niger au Ghana. C’est un élément essentiel de l’Afrique occidentale, on a besoin de ça pour se marier, pour les baptêmes. C’est par ce biais que les commerçants se sont enrichis. Je ne vois donc pas pourquoi   les commerçants d’aujourd’hui ne viendraient pas en Tunisie, au Maroc, pour se développer plutôt que d’aller aux Etats-Unis ou en Europe. Il y a des options sur lesquelles on doit travailler si on veut aider nos populations à se développer avec les capacités qu’elles ont déjà, et si aussi on veut les aider  à mieux gérer leurs terres, leurs sols.

Il y a  une autre problématique, le droit foncier, l’un des droits fondamentaux qui pose problème qui allie plusieurs types de droits, droit coutumier, droit colonial, droit moderne. Quelle sont les solutions d’après vous ?

Le foncier représente un enjeu très important dans nos pays. Il existe des conflits entre populations à cause des questions foncières. Il existe des contradictions  entre toutes les populations mobiles, transhumantes, nomades  et les agriculteurs sédentaires. Le foncier est un très grand défi qui peut être source d’instabilité ou d’insécurité pour nos pays. Dans tous nos pays,  il y a des lois pour gérer la question foncière. Mais, une des contradictions, comme vous le dites est la juxtaposition des règles traditionnelles par rapport aux textes modernes. L’Etat dit la terre m’appartient, mais ce n’est pas vrai. Quand l’Etat a besoin d’une terre, il vient parler aux paysans,   aux chefs du village pour négocier la terre. Il y a des lois qui existent, que ne devons revisiter  pour nous assurer qu’elles vont dans le sens de la promotion du bien être des populations,  qui sont au départ propriétaires de ces terres. C’est très important. Parce que nous avons vu dans certains pays où les populations ont accepté de libérer des terres et sont venues trente ans plus tard,  pour dire : «  non, ce n’est pas comme ça, ce sont nos terres, vous les avez données à quelqu’un d’autre, et cette personne les exploitent. » Il faut qu’on voie comment améliorer les textes que nous avons.

Comment le fermier peut répondre  à la location d’un bail  sur 100 ans, par exemple ? Que doit-il faire  pour reprendre sa terre ? Est-ce que c’est une problématique qui sera résolue dans les années à venir ?

Je crois que  dans les textes qu’on doit élaborer, on doit prendre en compte cette problématique. Est-ce qu’un fermier qui a vendu sa terre a toujours quelques droits ? Est-ce qu’un autre fermier  qui a mis en location sa terre pour 500 ans a toujours des droits ? Si oui, quel est le mécanisme qu’on va mettre en place pour lui permettre d’accéder à la parole, pour  lui permettre d’aider à orienter la direction des investissements notamment ? Vous savez, on parle d’infrastructure, mais il y a aussi le secteur minier qui vient occuper de vastes terres. Les enjeux sont très importants à ce niveau. Ce ne sont pas des petits montants, ce ne sont pas des histoires de 10 000 dollars. Ce sont des millions de dollars. Dans ces conditions là, il est facile d’acquérir des terres. Les gens pensent qu’ils gagnent de l’argent, mais ils n’ont rien, par rapport à ce que l’investisseur va gagner. On a ce problème à résoudre. Au Burkina Faso, par contre, il y a des étapes à suivre pour l’accession aux terres. Si vous voulez acquérir un hectare, vous pouvez négocier directement avec le propriétaire terrien, avec la municipalité. Mais au-delà d’un certain seuil, notamment au-delà de dix hectares, le processus est beaucoup plus compliqué. Ça doit traverser les avis des conseillers, quelques fois les parlementaires, pour qu’on vous octroie la terre, parce qu’ils doivent évaluer l’utilisation que vous allez en faire, le bénéfice qui va éventuellement revenir à la population ou bien à la région.

Qu’est-ce qui va faire la différence ?

Il est très important d’élaborer  dans tous les textes des règles de transfert de propriété et de clarifier ces règles. Il faut  qu’elles soient équitables vis-à-vis de celui qui vend ( le fermier), parce qu’il est justement assis généralement dans une  plus faible position. Ces règles doivent prendre  en compte, les priorités politiques, nationales, régionales et locales, ainsi que les ambitions en terme de plan de développement, de la région, de la municipalité, du pays. Tous les mécanismes doivent être mis à disposition ainsi que les recours. Ce schéma est  valable dans beaucoup de pays, qu’il s’agisse de Madagascar ou du Brésil. Il y a des pays  les textes sont beaucoup plus clairs. Dans tous les cas, vous savez tant que vous êtes relativement pauvre même si les mécanismes existent vous êtes marginalisé, et c’est très difficile de s’exprimer. On  a besoin de prendre en considération cet aspect également pour faire en sorte que les textes prévoient l’accompagnement de personnes vulnérables dans l’expression de leurs droits.

 

 

 

 

 

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