Nantes, un parcours pour la mémoire 25 octobre 2013

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Journalistes Ecrivains Pour la Nature et l’Ecologie (JNE)

Tristement célèbre pour le commerce triangulaire, le port de Nantes fut le premier port négrier de France, avec plus de 40 % de ses activités liées à ce commerce. L’abolition de l’esclavage en 1848 marque la fin de son influence officielle dans la ville. Depuis, l’histoire de Nantes est marquée par une forte présence symbolique souvent contestée, mais finalement assumée au niveau politique. Les aménagements paysagers de l’île de Nantes et du Mémorial de l’esclavage sont les vestiges de cette histoire.

par Houmi Ahamed-Mikidache

Le commerce triangulaire – photo Houmi Ahamed-Mikidache
Le commerce triangulaire – photo Houmi Ahamed-Mikidache

Premier port négrier de France pendant le commerce triangulaire, le port de Nantes a vu sa notoriété s’estomper avec l’abolition de l’esclavage en 1848. En quatrième position en 1860 puis classé sixième en 1896, il a tout de même toujours souhaité garder sa place de port maritime. L’exploitation humaine a continué malgré l’interdiction. Ainsi, le 10 juin 1896 le trois-mâts barque Belem a été construit par les chantiers Dubigeon à Chantenay-sur-Loire.

La Loire est alors aménagée par le Canal de la Marinière et le pont Transbordeur a été construit par la suite en 1903. Les Ateliers et Chantiers de Bretagne viennent en renfort en 1909. Nantes devient à cette époque le carrefour de la construction navale française avec trois ateliers.

Une histoire assumée

En 1960, la France est en pleine crise économique, les subventions et les contrats ne sont pas légion. A la fin des années 60, il ne reste plus qu’un atelier, le chantier Dubigeon installé sur la Prairie-au-Duc. Mais il fermera en 1987. Deux ans après, l’actuel Premier Ministre, Jean-Marc Ayrault, est élu à la Mairie de Nantes, avec une volonté de transformation du territoire. Mais la fin des années 80 est suivie par une période de réflexion assez longue de la part de l’équipe dirigeante. La Loire est à l’époque peu valorisée. Dix années d’études se passent avant la nomination de l’architecte et paysagiste français Alexandre Chemetoff en 2000. La ville de Nantes connaît alors dix ans de reconversion urbaine. Entre temps, la mairie confie en 2003 la gestion de son paysage urbain à la Société d’aménagement de la métropole ouest-Atlantique (SAMOA).

Parallèlement, les années 2000 voient émerger au sein de la mairie et de la société civile une réflexion sur l’histoire de l’esclavage vue de Nantes. Un comité de pilotage est créé. Des artistes entrent en compétition pour présenter des esquisses. Une personne fait l’unanimité : Krzysztof Wodiczko, artiste engagé connu pour ses œuvres dédiées à la prise de conscience de drames humanitaires. Quatorze années se passent et finalement en mars 2012, le Mémorial de l’esclavage ouvre ses portes. Le premier en France. Le plus grand d’Europe. Un mémorial pour ne pas oublier le passé. Un mémorial pour lutter contre toute forme d’esclavage. En collaboration avec Julien Bonder, un architecte qui travaille souvent au-delà des frontières traditionnelles de l’architecture, avec des références à la mémoire et aux drames, Krzysztof Wodiczko a conçu ce Mémorial comme un parcours méditatif.

Le Mémorial de l’esclavage à Nantes – photo Houmi Ahamed-Mikidache
Le Mémorial de l’esclavage à Nantes – photo Houmi Ahamed-Mikidache

Situé sur le quai de la Fosse, point d’accostage des navires du commerce triangulaire, le Mémorial de l’esclavage permet de découvrir et de comprendre certains aspects occultés de l’histoire. Deux mille plaques de verres couvertes de textes rappellent les expéditions négrières de Nantes à l’Afrique en passant par l’Amérique.

Des citations sonores, des extraits de chansons, de textes de lois, mais aussi des témoignages historiques accueillent le visiteur. « Déracinez-moi l’arbre de l’esclavage » de Toussaint Louverture en 1793 à Saint-Domingue aux Antilles, « Émancipe-toi de l’esclavage mental. Nul autre que nous-mêmes ne peut libérer nos esprits » de Bob Marley dans Redemption Song en 1980 en Jamaïque. « Je ne suis pas vraiment libre si je prive quelqu’un d’autre de sa liberté, aussi certainement que je ne suis pas libre si l’on me prive de ma liberté. L’opprimé et l’oppresseur sont tous deux dépossédés de leur humanité » de Nelson Mandela dans Un long chemin vers la liberté en 1994 en Afrique du Sud.

Afin de plonger le visiteur dans le passé, Krzysztof Wodiczko et Julien Bonder ont aménagé un passage souterrain de 90 mètres. De multiples panneaux explicatifs sont à disposition. En sortant, entre le bâtiment de l’ancienne capitainerie du port et du pont Anne-De-Bretagne, le mémorial est entouré de 2500 plants qui s’étendent sur une vaste esplanade végétalisée de près de 7000 m2.

D’après Franck Coutant, paysagiste et naturaliste du Service des espaces verts et de l’Environnement (SEVE) de la mairie de Nantes, trois arbres symbolisent les grandes propriétés nantaises à l’époque du Commerce triangulaire : le magnolia, le séquoia et le cyprès chauve. Ces arbres encerclent en effet l’édifice consacré à la mémoire des privations perpétrées pendant de longues années.

Visible dans les pièces de 1 et 2 euros, l’arbre a toujours été le symbole de l’émancipation en France. « C’est un beau et vrai symbole pour la liberté qu’un arbre ! La liberté a ses racines dans le cœur du peuple, comme l’arbre dans le cœur de la terre ; comme l’arbre, elle élève et déploie ses rameaux dans le ciel ; comme l’arbre, elle grandit sans cesse et couvre des générations de son ombre », souligne Victor Hugo le 2 mars 1848, dans un discours pour célébrer la proclamation de la Seconde République.

Le leonotis – photo Houmi Ahamed-Mikidache
Le leonotis – photo Houmi Ahamed-Mikidache

Réputée pour l’importation de nombreuses plantes pendant le commerce triangulaire, Nantes a une très forte particularité botanique depuis le règne de Louis XIV avec la création du Jardin des Apothicaires. En plus des arbres importés dans le passé, quatre plantes africaines viennent s’ajouter à ce patrimoine et entourent également le mémorial : l’agapanthe, le kniphofia, l’arum d’Ethiopie et le leonotis. Toutes originaires de l’Afrique du Sud.

L’agapanthe, une fleur bleue, violette et blanche aux tiges très longues, symbolise l’amour des fleurs. Agapaô signifiant amour en grec et anthos signifiant fleur. Le kniphofia est une fleur rouge en bouton s’ouvrant en orange, puis en jaune avec de longues feuilles cannelées. Originaire des parties hautes de l’Afrique du Sud, cette plante résiste au froid. Autre fleur sud-africaine, l’arum d’Ethiopie, plus connue sous le nom d’arum Lily. Cette fleur est blanche en forme de cornet, avec au centre un épi jaune et des grandes feuilles vert foncé. Elle se retrouve entre autres en Afrique du Sud, dans les provinces de Limpopo, du Nord West du Gauteng, du Mpumalanga, du Free State, du Kwazulu-Natal et orientale et occidentale du Cap. Comme l’arum d’Ethiopie, le leonotis est présent sur l’esplanade végétalisée. Connue pour ses vertus euphorisantes, cette plante se présente par des tiges robustes accompagnées de longues feuilles vert foncé portant des fleurs aux lèvres orangées.

L’aménagement paysager accompagnant le mémorial est libre de toute interprétation. Avec une forte présence des arbres d’Afrique du Sud, le visiteur ne peut s’empêcher de penser au long combat politique contemporain, celui contre l’apartheid. Un long combat et enfin… la liberté. Au-delà de la haine, la souffrance, les pleurs, le Mémorial de l’esclavage est un hymne à l’espoir de vivre, d’être libre de s’exprimer. Un tabou levé par la mairie de Nantes, avec de l’autre côté de la Loire un regard porté vers le palais de justice.

Poursuivant son chemin après l’île de Nantes (lire notre reportage ici), le visiteur découvre une allée où des transats sont installés le long de la Loire. Longeant le quai des Antilles, son oeil se pose : des bateaux vestiges du passé sont visibles au loin. Dix-huit anneaux accompagnent le fleuve. Ouvertures sur l’estuaire, ces anneaux sont l’oeuvre du plasticien Daniel Buren et de l’architecte Patrick Bouchain. De jour comme de nuit, l’île de Nantes est vue sous différentes perspectives. De couleur blanche le jour et en trois couleurs rouge, vert et bleu le soir, les anneaux permettent d’avoir le regard immergé dans le passé. Le visiteur s’imagine le Belem et les conséquences de l’esclavage : la colonisation et la surexploitation. Tristement célèbre, ce navire a fait la gloire de nombreuses entreprises françaises. Il transportait entre autres du cacao et du cuivre en assurant la ligne Nantes-Amérique du Sud-Antilles.

.Plus de cent années après l’abolition de l’esclavage, 29,8 millions de personnes dans le monde sont toujours soumises à diverses formes de privation de liberté. D’après la première édition de l’Indice mondial de l’esclavage (Global Slavery Index), présentée par une ONG australienne, Walk Free Foundation, de nombreux pays perpétuent l’esclavage moderne. Haïti, le Nigéria, la Mauritanie et l’Inde sont parmi les pays où cette forme d’esclavage présente un très fort taux de prévalence. Difficile de déconstruire les mentalités. La ville de Nantes, elle, poursuit son intellectualisation de l’aménagement, malgré ses contradictions.

Ce reportage a été réalisé lors d’un voyage de presse des JNE à Nantes, à l’occasion du sommet de la ville durable à Nantes, Ecocity[i]

[i] http://www.ecocity-2013.com/

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