COP21 : ce que les Africains vont négocier

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seyniUn atelier des négociateurs francophones tenu à Paris au siège de l’OIF* a permis de revenir sur les points importants de l’accord attendu de cette COP de Paris.

Sous la supervision de Jean-Pierre Ndoutoum, directeur de l’Institut de la francophonie et du développement durable, en présence du ministre de l’Environnement et du Développement durable du Sénégal Abdoulaye Baldé, ainsi que celle de la secrétaire générale de la francophonie Michaëlle Jean, l’atelier des négociateurs qui vient d’avoir lieu à Paris s’est longuement penché sur la position africaine.

Par Houmi Ahamed-Mikidache ( Article publié sur le site du Point- COP21 : ce que les Africains vont négocier (lepoint.fr)

L’ambition autour des contributions nationales

183 pays sur 195 ont soumis leur contribution nationale. À ce jour, la somme des contributions nationales n’atteint pas les 2 degrés, voire les 1,5, demandés par les petits États insulaires en développement. De nombreux pays d’Afrique ont pourtant présenté des programmes de réduction de gaz à effet de serre (GES) très ambitieux. Mais l’Afrique émet très peu. « Sur les 2 à 3 % d’émissions de GES, 50 % proviennent d’un seul pays du continent », précise le Malien Seyni Nafo, porte-parole des négociateurs africains. « La question de l’ambition est fondamentale. Mais il faut contribuer, évaluer et réviser », explique M. Nafo. Une révision des contributions nationales est prévue à cet effet tous les cinq ans. Mais cela sera discuté à Paris, en plus des termes juridiques de l’accord.

L’adaptation, un enjeu majeur

« Nous voulons un accord à Paris qui ne fasse pas uniquement la part belle à l’atténuation, mais qui donne aussi de l’importance à l’adaptation », souligne Tosi Mpanu, vice-président des pays les moins avancés et négociateur de la République démocratique du Congo. L’Afrique est l’un des continents les plus vulnérables aux changements climatiques. Mais « elle ne peut pas régler toute seule les dérèglements climatiques », précise M.  Nafo, futur président des négociateurs africains. Pour l’Afrique, la question de l’adaptation est cruciale pour le développement du continent . Mais comment faire face au dérèglement climatique sans financement suffisant ? Pour M. Nafo, l’adaptation est le parent pauvre des négociations sur le climat.

D’après le dernier rapport de l’OCDE, sur la mobilisation des 100 milliards par an d’ici à 2020, les financements climatiques mobilisés en 2014 s’élevaient à 62 milliards de dollars, dont 16 % consacrés à l’adaptation. « L’adaptation est en crise. Elle ne dépasse jamais 20 %. On est entre 16 et 18 % du financement pour l’adaptation, dont la majeure partie est publique. Le privé n’est pas encore intéressé », indique M. Nafo.

Depuis quelques mois, le groupe des négociateurs africains a décidé  de  commencer par mesurer la part du public. « Cela s’explique parce que la part du public est beaucoup plus facile à mesurer, à tracer, contrairement aux financements privés. Quand on parle de financement privé, on parle d’effet levier, c’est assez compliqué », explique M. Nafo. Pour le porte-parole du groupe des négociateurs africains, le financement privé est plus compliqué à comptabiliser. De plus, ce financement est plus impliqué dans la question de l’atténuation, pour les énergies renouvelables et les transports. « Le financement de l’adaptation demande une approche ascendante, spécifique aux régions, aux territoires, une approche bottom-up, comme on dit », précise-t-il.

Mais comment financer l’adaptation ?

Depuis 2009, la grande difficulté des négociations est d’avoir une visibilité du contenu des 100 000 milliards de dollars. « On n’est pas encore à 100 000 milliards, mais, idéalement, c’est 100 000 milliards par an que l’on souhaite à partir de 2020, mais quelle part pour le public, quelle part pour le privé, combien de marchés carbone va-t-il y avoir ? » se demande M . Nafo. Les négociateurs africains sont partis sur une stratégie, approuvée par les ministres africains, dans laquelle, sur les 62 milliards identifiés, 30 devraient être consacrés à l’adaptation et le reste devrait transiter par le Fonds vert. « Dans les 30 milliards d’adaptation du financement public, il y a 3 à 5 milliards qui devraient passer par le Fonds vert, soit 2,5 milliards par an, au minimum. Aujourd’hui, on est à 2,5 milliards tous les 4 ans, on devrait arriver à 2,5 milliards par an dans moins de 10 ans », plaide M.  Nafo. Tout au long de l’année, il a tenu ce discours devant la négociatrice française Laurence Tubiana et le négociateur américain Todd Stern. Celui-ci a récemment affirmé dans une discussion sur Internet, à l’initiative des USA, ouverte aux journalistes que l’État américain avait multiplié par huit son assistance financière quant à l’adaptation depuis l’élection de Barack Obama. « Mais l’adaptation, assure M. Nafo, fait face actuellement à une crise de confiance. » D’où l’intérêt encore plus fort pour le Fonds vert.

Le Fonds Vert, un espoir pour l’Afrique

« On peut multiplier par quatre les fonds disponibles pour l’adaptation, à travers un seul mécanisme qui est le Fonds Vert dans lequel, en termes de gouvernance, on est bien représenté. C’est un mécanisme qu’on maîtrise plutôt bien. Nous avons, pour beaucoup, négocié ce fonds depuis quelques années », explique-t-il. Et de rappeler que c’est en 2008 que l’idée de ce fonds a été soumise. « C’est le G77 + la Chine qui en a parlé », se rappelle-t-il. Et le Fonds vert, précise-t-il, est indépendant. « Ce n’est pas la Banque mondiale », clame-t-il.  Pour rappel, le Fonds vert de l’ONU prévoit un financement  public et privé de 50 % pour l’adaptation et de 50 % pour l’atténuation. À ce jour, 10 milliards de dollars ont été promis par 35 pays, 6,5 milliards ont été signés, dont trois milliards dédiés à l’adaptation.

Les pertes et préjudices, une question délicate

« Les pertes et dommages sont une question qui inquiète un peu nos partenaires », rappelle M. Mpanu. De nombreux pays développés, dont les États-Unis, ne souhaitent pas voir émerger cette question. « Cela pourrait ouvrir la voie à des actions judiciaires au niveau international », indique-t-il. Pourtant, le groupe des 77 pays + Chine, ainsi que celui des petits États insulaires en développement, se positionne pour une réelle prise en compte de cette question dans l’accord de Paris. À quelques jours de la COP21, certains négociateurs africains ont analysé les différentes descriptions des pertes et préjudices en Afrique. « Cette question est pertinente pour l’Afrique, parce qu’il y a  certains phénomènes très pernicieux tels que l’acidification des océans, la hausse du niveau de la mer, l’érosion côtière, les terres de plus en plus arides, une agriculture difficile, les dérèglements au niveau de la pluviométrie… Ces questions vont quand même affecter notre développement de manière durable, » affirment-ils. Et de faire remarquer que ce sont les politiques qui décideront de l’intégration ou non des pertes et préjudices dans l’accord de Paris.

L’énergie, le coeur du développement

« À l’ère d’Internet, il faut de l’électricité », s’exclame M. Nafo, 34 ans. Le groupe des négociateurs africains présente depuis quelques mois un programme ambitieux. « On veut faire 10 gigawatts  en 2020, et au moins 300 gigawatts en 2030. Selon les chefs d’États africains, 10 gigawatts, cela ne veut pas dire grand-chose… mais c’est une augmentation de 100 % », explique-t-il. 600 millions de personnes en Afrique n’ont pas accès à l’énergie. « Aujourd’hui, on installe à peu près un gigawatt d’énergie renouvelable, par an… Si on fait 10 gigawatts pour les cinq prochaines années, on double, c’est 50 %, on essaye au moins de décoller, et ensuite on peut aller dans la stratosphère avec les 300 gigawatts. » Pour le plus jeune négociateur de la Convention des Nations unies sur le climat, cette solution est à saisir. Le groupe présentera deux programmes sur l’adaptation et sur l’atténuation. « Si la solution d’atténuation présentée par l’Afrique n’est pas retenue, les chefs d’État africains se retourneront vers les énergies fossiles et polluantes », prévient M. Nafo.

Le prix du carbone

L’Afrique, bénéficiaire minoritaire du marché carbone, souhaite intégrer celui-ci. « Assurer un prix minimum permettrait la mise en œuvre des 6 000 à 7 000 projets qui forment l’un des mécanismes financiers issus du protocole de Kyoto, le marché du développement propre », selon M. Nafo. Mais le marché du carbone n’est pas très prospère. « La tonne de carbone est à 50 centimes d’euro », souligne-t-il. D’ailleurs, ce 30 novembre, un panel de leaders mondiaux sur le prix du carbone est organisé, à l’initiative de la Banque mondiale, en présence des chefs d’État membres du panel, dont le président français, le président chinois et la chancelière allemande

À Paris, le groupe des négociateurs africains va donc prolonger ses échanges sur ces questions épineuses. Il aura à trouver un accord avec les autres négociateurs sur toutes les autres questions liées à la transparence, au soutien, au renforcement des capacités et aux transferts des technologies. Mais une question demeure, que souligne la directrice de l’environnement du Sénégal Mariline Diara :  « Comment  trouver un consensus quand on ne parle pas de la même chose ? ». Vaste programme.

*OIF : Organisation internationale de la francophonie.

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